jeudi 10 juillet 2014

PORTRAIT "BALLADS": MATHIAS MALZIEU

Mathias est le musicien de l'enregistrement de "Ballads" que je connais depuis le plus longtemps. Nous avons fait connaissance à un de ses concerts en 1998. A l'époque, certains me disaient avoir vu un mec complètement fou en concert avec qui je m'entendrais bien. Certains me disaient même avoir vu une ressemblance physique entre nous deux. Intrigué, j'allais voir Dionysos en concert et me pris une monstrueuse baffe. Aujourd'hui encore, Dionysos fait partie des meilleurs groupes que j'ai pu voir sur scène. Je les ai d'ailleurs vus une trentaine de fois en concert depuis. Si c'est pas plus. Ils sortaient à ce moment là leur deuxième album et j'écoutais en boucle ce disque par la suite. Le soir du concert, je ne connaissais pas encore leur musique. J'ai croisé Mathias aux wcs du club bordelais. Nous nous sommes regardés, et avons eu un flash immédiat. Nous étions probablement de la même famille. De son coté, il était en tournée avec Dionysos, et quelques mois auparavant, sur la route, à Strasbourg, un disquaire lui avait recommandé un de mes 45 tours, le "Pascal Sevran EP" que j'avais sorti en 1995 sur un label marseillais. L'indie pop de l'époque, en France, était moins fournie qu'aujourd'hui. Peu de disques sortaient par rapport à maintenant. Ainsi, Mathias avait découvert mes chansons hip hop et grunge de l'époque. Nous avons discuté quelques secondes avant qu'il monte sur scène. Surprise, ce soir là le groupe improvisa un riff d'une de mes chansons hip hop. J'étais ému. Puis s'en sont suivies des courriers entre Mathias et moi. Nous nous écrivions des lettres manuscrites. Ca aussi, c'est difficile à imaginer à notre époque, avec internet. Et puis on s'envoyait aussi nos disques respectifs. On se passait quelques coups de fil, aussi, et parlions des cloisons étouffantes qu'il y'avait entre plusieurs genres musicaux, mais aussi entre les labels indépendants snobs et les majors méprisantes. Chacun leur tour se tournant le dos, et à quel point nous trouvions cela idiot. Chaque coup de fil de Mathias, lui à Valence, moi à Bordeaux, me redonnait de l'espoir. Car, dans les années 90, on s'emmerdait un peu, tout de même. 
Et puis il y' eut ce jour où je reçus un tapuscrit. Mathias écrivait des nouvelles. Ca, c'était sacrément étonnant d'éclectisme. La narration était drôle, légère et touchante. Enfantine aussi. Le rapport à l'enfance m'a tout de suite plu. J'adorais ses nouvelles, que j'ai, quelque part, chez moi, avec plein de bidules. Elles me rassuraient, aussi, car je venais de m'intéresser de façon plus approfondie aux instruments jouets. Le rapport à l'enfance devint un de nos sujets de discussions favori. Puis je reçus ensuite des courts métrages au Super 8 dans ma boite aux lettres. Mathias avaient des envies de cinéma. Ca aussi, ça me rassurait, et me motivait. Mathias n'avait aucune limite. Bien sûr, ses partenaires étaient inquiets "il vaut mieux faire une seule activité à la fois". Mais Mathias ne pliait jamais. Quand je m'inquiétais pour lui et ses projets fantasques, il me répétait tout le temps: "on verra, on sait pas, faut essayer". Et je repartais plein d'optimisme. Je publiais des disques, lui aussi, et nous parlions de musique. Puis un jour, il réalisait un clip pour une de mes chansons. "Hard Day", sur mon double album "Radio Dub" de 1998. Des années plus tard, un ami me proposait d'intégrer ce clip dans un site internet. Et la vidéo fut perdue. Je ne m'en remets toujours pas. En l'an 2000, Mathias m'invitait à jouer à Valence, en première partie de Dionysos. Il était en fauteuil roulant. Il était tombé, lors d'un concert, mais avait refusé d'annuler la tournée. Il jouait donc en fauteuil. Je pris une immense leçon de Rock N Roll. Je fus ce soir là signé chez un label un peu plus conséquent que d'habitude, et sortis "The Hard Rock", mon album le plus rock, quelques mois plus tard. Mathias parlait de moi dans la région, et je pense que ça avait motivé ce label là, qui était une licence Wagram. Mais des mois après la sortie du disque, mon contrat fut rendu, comme cela arrive parfois. J'avais alors décidé de jouer dans la rue, en montant un street band qui serait bientôt Cocktail Bananas, avec mes amis. Beaucoup de gens voyait cela d'un mauvais oeil, mais Mathias, lui, comme d'habitude, était enthousiaste. Il me proposa alors de jouer le rôle d'un musicien de rue dans un court métrage. Il venait de sortir son premier livre, mais ses talents de réalisateurs de film faisaient encore douter sa maison de disques. Donc, je n'ai pas joué de banjo dans ce court métrage. Mais Mathias eut envie que je joue en première partie de Dionysos. De mon coté, je suivais sa discographie et j'étais épaté du virage country que le groupe prenait. L'acoustique et l'électrique étaient sans cesse mélangés, et Dionysos passait de plus en plus à la radio. Voir cet exemple de pop farfelue et hors norme s'incruster dans ma télé ou sur la bande FM me donnait une énergie formidable. Mathias avait donc la tête dure. Il ne reculait jamais. Il avait forcé les portes des maisons de disques, puis des maisons d'édition, puis des radios, puis des télés. C'était incroyable. Peu d'années avant Herman Dune, Dionysos avait donc cassé une cloison qui séparait l'indie ricaine et la France FM. Et ce n'était pas la dernière.  A cette époque, Mathias était tout le temps sur la route. De mon coté, j'étais tout le temps à jouer dans la rue, et aussi de plus en plus sur la route avec Cocktail Bananas. Puis nous avons eu des soucis. Puis nous nous sommes retrouvés en 2005, quand le 2.0 a rapproché les gens qui voyageaient beaucoup. Il y'avait du neuf dans nos vies, et nous avions toujours autant envie de faire ce qu'il ne fallait pas faire. Entre 2005 et 2011, j'ai ouvert des tonnes de fois pour Dionysos. J'ai remixé un de leurs titres, j'ai dansé dans deux clips, ai accompagné Mathias pour les lectures de ces livres, en France, au Quebec, en tant que pianiste, banjoiste, ou omnichordiste. A cette époque, je découvrais ses romans, épaté, impréssionné. Très ému aussi par "maintenant..", ce livre impressionnant de tendresse et de peine. De sincérité et de générosité aussi. Mathias rime très bien avec ce terme là. Il n'est pas difficile, au premier regard de se rendre compte de la générosité sans fin du bonhomme. Sur scène, c'est évident. Mais dans la vie également. Une journée ne suffit jamais à cet hyper actif. Il lui est impossible de ne pas essayer de nouvelles choses. Et j'apprenais alors que Mathias avait trouvé un producteur, Luc Besson, pour le suivre dans un projet épuisant et titanesque de film d'animation. Je tournais avec Dionysos et je voyais la masse de travail que Mathias fournissais. Il jouait en concert ( et quels concerts ), rentrait dans sa chambre, écrivait un nouveau livre, et le lendemain retournait au studio d'animation pour réaliser son film. Il trouvait le temps de faire de la promotion d'écrire des chansons pour d'autres, de réaliser des disques, de produire des clips, d'organiser des expositions, de mettre en place les siennes, celles de ses photos au lomo, puis allait à des concerts. Le tout en ayant totalement oublié qu'il avait vendu des tonnes de disques, de livres, et qu'il avait donc une sacré célébrité. Qu'importe, il venait taper le solo d'harmonica à n'importe quelle occasion, se faisant emmerder au passage pas des gens qui voulaient soit une signature, soit une dispute, et tout ça, avec le sourire. Je suis toujours resté ébahi quant à cette énergie de monstre. Tiens, j'oubliais presque, Mathias a réalisé un de mes clips l'an dernier. Et puis il a joué dans une de mes vidéos. Et nous venons d'enregistrer du spoken word ensemble avec ses textes. Tout ceci serait trop long à raconter. Les projets, les envies, en discontinu, le visage tout le temps émerveillé de Mathias lorsqu'il entend un steel guitar, ou lorsqu'il trouve une machine des années 40 dans un magasin. Mathias est un enfant. Pour ses 40 ans, je me faisais la réflexion suivante: comment fait il pour rester autant énergique? Rien ne semble l'affecter. Ou alors, ça ne dure pas. Mathias a toujours 8 ans et demi. Quand je lui ai parlé de mon projet de "Ballads", il était tellement motivé qu'il a insufflé encore un peu plus d'énergie à cette unique journée d'enregistrement magique au studio CBE. Mathias, c'est ça: une pile électrique qui pétarade en permanence. De la nitroglycérine rouquine. Je n'arrive bien sûr jamais vraiment à saisir ses projets quand il les monte, mais suis toujours sur le cul quand il y arrive. Un funambule. D'ailleurs, en général, je fais exprès d'être à moitié concentré pour garder de la surprise. "Tu vas créer un chocolat qui accompagne ton livre? Ah! Très bien! Tu as rencontré un chocolatier et vous allez créer ensemble une saveur? Ok. Formidable". "Ce soir, je joue du piano avec toi, mais une femme arrive sur un fil pour faire un strip tease à l'envers et se transformer en oiseau géant, juste dans mon dos? Oui, formidable! Mais mon Do# semble cassé. Tu trouve ça super? Tu trouves que ça sonne de façon étrange. Et donc tu veux que je joue cette note là. Ok. Oui. Je vois". Le rapport à l'accident et à l'erreur et une des constantes de ce que fait Mathias. Je dis "FAIT", car je ne sais plus comment appeler son métier. Il a cassé tant de codes. Et j'en suis tellement ravi. La plupart du temps, quand on m'emmerde avec des protocoles, je cite Mathias. Il est mon Joker. Le truc qui ferme le clapet des pisses froids du métier. "Ha bon? On ne PEUT PAS faire ça? C'est marrant, j'ai déjà entendu quelqu'un dire ça à Mathias à propos d'un de ses projets. Il l'a fait quand même. Et avec succès.". Et comme dit Mathias: "Il n'y a pas de règles". Lorsque j'ai eu envie d'enregistrer "Ballads", j'ai pensé que la liste des titres à enregistrer contenait trop de mes anciennes chansons. Certes, je voulais en restaurer quelques unes, et des ballades, qui plus est. Mais le fait d'enregistrer 5 anciennes chansons, deux nouvelles, et une réécrite, me posait un souci. Et comme souvent, j'entendis Mathias dans ma tête "Y'a pas de règles". Puis je regardais mon budget. J'avais de quoi faire une seule journée de studio. Ce qui est très peu pour un album. Puis j'entendis Mathias dans ma tête: "Y'a pas de règles". Puis je dressais la liste des musiciens à qui je pensais pour m'accompagner. Ils étaient trop nombreux. "Y'a pas de règles". Ils étaient presque tous solistes ou leaders de groupes. "Y'a pas de règles". Je n'avais aucune chanson entrainante pour la radio. "Y'a pas de règles". Je devais sortir un triple album en 2013 suivi d'un disque de cover au printemps 2014, ca faisait un peu beaucoup. "Y'a pas de règles". Depuis des années, n'ayant pas le tempérament de feu que peut avoir Mathias, étant sujet à des passages de dépression intense et de doutes improductifs, j'ai tout de même un médicament: Dans ma tête vit Mathias. Il est là pour veiller aux grains. Il me réprimande à chaque fois que j'ai le trac. Il casse des murs au travers desquels je passe tranquilou derrière. Il est bienveillant. Ils sont quelques uns, dans ma tête. Mais Mathias s'occupe du moral des troupes. Stephan, de Dionysos, me dit souvent : "Ca allait pas. J'ai appelé Mathias, et me voila regonflé à bloc". Dans "Ballads", Mathias joue de l'harmonica. Mais aussi de l'énergie. De façon invisible, et avec sa bonne humeur. Je lui dois des tas de rencontres, dont récemment Carmen Maria Vega. Et nous devons beaucoup, d'une façon générale, en tant que musiciens français, à Mathias. Il est de la génération rock des années 90. C'est à dire quelqu'un qui a ouvert des portes, comme ont pu le faire Katerine, Dominique A, Sloy et quelques autres. Et il en ouvre toujours plus. Bientôt, ses prochains projets vont encore casser des cloisons. Même si je ne vous dis pas tout, pour garder du mystère. Mais les livres de Mathias, ses disques, son film magnifique, ses chocolats, ses photos, je vous recommande tout ce que fait Mathias. En plus, il fabrique des ponts pour aller des uns aux autres de ses projets. Si bien qu'il est stimulant de récréer le puzzle géant qu'il fait ça et là, entre toutes ses réalisations. A vous de vous amuser. C'est ce qui lui fera le plus plaisir. Qu'on se marre.

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